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. La ville des Orphelins .
 
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 Ancien Testament

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Jester
Game Master Deity
Jester


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MessageSujet: Ancien Testament    Ancien Testament  Icon_minitimeJeu 4 Nov - 23:15

Génèse


J'ai mal aux jambes. Mon Dieu, ce que j'ai mal aux jambes.
Et au ventre aussi. Un énorme point de côté me scie le flanc.
La pluie dégouline sur mon front, dans ma bouche que j'ouvre pour tenter de mieux reprendre mon souffle, sur la petite main serrée dans la mienne. Ari, un grand de dix-sept ans qui était avec nous nous a crié quelque chose. Les maques. Ou un truc comme ça. Il m'avait expliqué la veille qu'il s'agissait de gens qui cherchaient des orphelins, comme nous, qui enlevaient les petites filles dans les rues pour en faire des putes. Ma petite soeur a tout écouté sans broncher. A dix ans, savait-elle ce que cela voulait dire ?
Et puis ils sont arrivés, et on a couru. Débarqué dans le petit bout de rue qui nous abritait depuis trois jours, depuis l'Incendie où nous avons tout perdu. Je crois bien qu'il ratissent tout le quartier, tout ce quartier qui a brûlé, dans les ruines où se cachent encore plein de petits enfants orphelins comme nous, cherchant les cadavres de leurs géniteurs.
Je m'essuie le visage d'un revers de main.
Ils n'enlèveront pas ma soeur. C'est tout.

La pluie tombe tellement fort qu'elle crépite sur tout ce qu'il y a autour de nous, les bouts de ferraille encore intacts font un son creux et clair. Et de temps en temps, l'écho d'un cri. Un cri d'enfant. Ça veut dire que quelque part dans les environs, ils en ont attrapé un ou une. Un petit bout de carton mouillé tombe du ciel, glisse sur mes cheveux noir et alourdis par l'eau. A côté de mon pied il y a maintenant une carte, blanche, avec le symbole d'un as de pique, dessiné comme un tatouage, dont les contours sont en flammes. Ça aurait pu être une carte à jouer, mais je remarque qu'il n'y a pas des petit "1" symbolisant les as. Et puis je ne m'y attarde plus. Un cri a résonné trop près.
Ma soeur me regarde, la yeux grand ouverts, la bouche tordue. Elle se retient comme elle peut de pleurer. Peut-être pleure-t-elle. Je ne sais pas : il pleut. Mais elle ne chougne pas. Je lui dit doucement que la pause est finie. Je jette un oeil à l'angle, puis nous sortons en courant de la rue en cul-de-sac où nous étions.


Ça fait longtemps que nos chaussures à tous les deux sont imbibées d'eau, mais nous courrons. Elle vole littéralement derrière moi. D'une rue adjacente une ombre nous rattrape. Juste une autre jeune, qui fuit comme nous.
Nous sommes bientôt dix enfants dans la rue. D'autres arrivent. J'étais heureux de les voir au début. A présent, j'ai la certitude que nous nous sommes fait rabattre comme du gibier. Je cherche une faille, un endroit où fuir encore, pendant qu'ils sont hors de vue. Mais comment savoir, dans des enfilades de ruelles que je connais par coeur, celles qui ont été bouchées par les débris des immeubles?

De toute façon c'est trop tard. J'ai vu une ombre. Alors je crie. Je leur crie à tous de se barrer, j'abrège en hurlant que c'est un piège, qu'ils sont là. Pendant deux secondes il me regardent sans me croire, puis ils ont peur. Et fuient.
Mais il en sort déjà de toutes les rues. Ceux qui ne se font pas prendre en essayant de fuir se retrouvent acculés contre une ancienne tour de verre. La pluie coule sur mon visage, et sur la petite main que je serre encore. Elle supportera tout tant que je lui tiendrais la main.
C'est un type à côté de moi qui a un éclair. Il s'époumone "grimpez!", et nous nous retournons tous vers l'immeuble qui nous fait obstacle.
Bien sûr, les parois sont de verre éclaté, coupantes et dangereuses, mais les débris de béton qui jonchent le sol nous mèneront jusqu'à ce qui est devenu le toit. Mais il faut faire vite, parce que ceux qui sont à peine à quelque mètres de nous ont aussi entendu.

C'est la ruade, des dizaines d'enfants qui grimpent un tas de gravats trempés, avec toute la peur et le désespoir qu'ils peuvent ressentir. Je le sais, je suis comme eux. Ma soeur et moi nous grimpons, elle devant pour plus de sûreté. Pas loin sur ma gauche, il y a une fille svelte, le visage tiré, elle me lance un demi-sourire. L'instant d'après elle hurle, de surprise, parce qu'une poigne puissante vient d'enserrer sa cheville. Je vois ses yeux écarquillés et la main qu'elle me tend, avant de se faire traîner jusqu'en bas. Ils sont juste derrière nous, et partout autour d'autres cris de filles.
Je comprend que ma soeur et moi sommes hors d'atteinte ; ils se focalisent sur les adolescentes. Moi je leur bloque le corps de ma soeur et de toute façon elle n'a que dix ans. Nous continuons à monter. Des garçons aussi se font prendre. Je me retourne pour regarder l'espace de quelques secondes. Ils sont allongés sur le sol, inertes, parce que contrairement aux filles, on doit les tabasser pour qu'ils tiennent en place. Ensuite ils se penchent sur eux, et s'éloigne si finalement ils ne les jugent pas comme de la "bonne marchandise". Pour un ou deux ils l'empoignent par les cheveux, achèvent de le passer à tabac pour lui faire passer l'envie de bouger, puis le jettent près des filles.
Certains qu'on a laissé à terre se relèvent, se traînent piteusement pour nous suivre. Nous arrivons enfin en haut de l'immeuble, dans une salle dont le mur est tombé. Nous sommes une trentaine, principalement des garçons. Nous regardons en bas, "eux" qui repartent avec nos soeurs, nos amies. Certaines nous regardent, certains de nos chasseurs nous contemplent aussi d'en bas. Ça dure longtemps, jusqu'à ce qu'il enfournent la dernière tête aux cheveux longs dans leurs fourgons, jusqu'à ce qu'ils disparaissent au fond de la rue.
Ceux dont les soeurs viennent de partir ont les nerfs à vif. En regardant mieux, je compte quatre filles avec nous. Toutes plus âgées que ma soeur, plus ou moins formées. Très peu de jeunes garçons, en revanche. Celui qui nous a crié de monter est à peine plus grand que moi, les cheveux noirs coupés plus courts. Il nous dit... il nous dit d'aller sur les toits.

Personne ne vit sur les toits de ma ville. Pourtant il y a des sortes d'abris qui y sont systématiquement construits, en cas d'inondation se moque-t-on, ou bien pour servir de grand débarras aux immeubles d'habitation. Je sais aussi vaguement qu'il y a des énormes tuyaux, des conduits d'aération... et une décharge au niveau des quartiers populaires. Comment des gamins pourraient-ils se cacher là-bas ? Je sais que personne n'y monte, mais...

- On devrait vivre sur les toits.

Les yeux qui se posent sur moi sont fatigués. Ils n'ont pas la force de croire que c'est une plaisanterie. Ils répondent de façon logique et réfléchie à une proposition farfelue mais qu'ils n'ont classé nulle part. Tant mieux. Je suis sérieux. Et j'anticipe les protestations.

- Sérieusement... ça fait trois jours qu'on a tous perdu nos parents, vous croyez que la ville va nous prendre en charge? Nan ils se seraient dépêchés de le faire. Au lieu de ça ils nous ont envoyé les maques pour se servir et nous nettoyer.

La plupart sont déjà convaincus. Ils ont besoin de se raccrocher à quelqu'un, quelqu'un qui a assez d'énergie pour répondre aux évènements et ne pas se laisser emporter par eux, quelqu'un qui leur offrira une petite base stable qu'ils critiqueront ensuite.

- Il faut vivre sur les toits, ne plus jamais redescendre par terre. Il y aura des rafles! Et un jour ils auront l'idée de venir nous chercher pour vendre notre peau lisse et nos bouches d'enfants aux autres maques du monde entier. S'ils peuvent se faire de l'argent en nous vendant, ils nous chercheront.

Je viens d'achever les derniers sceptiques. Certains sont plus âgés que moi, mais ils croient désormais au plus profond d'eux que ce que je dis est vrai. La menace est au sol. La menace est au sol.
Lentement, certain se mettent à marcher. Le grand brun à côté de moi enjoint les autres à rejoindre sur les toits, demande à quelques groupe de se séparer pour trouver des accès. Nous cherchons un moyen de monter à partir de notre bout d'immeuble. Déjà maintenant, plus personne ne reposera un pied par terre.


Je m'appelle Hide, j'ai dix-sept ans, et je suis l'un des premiers Orphelins.



Noir. Jour.
Mes yeux se rouvrent sur Ren. Il fronce les sourcils. Il n'aime pas me voir si distrait alors que nous sommes tous réunis pour parler de choses importantes. Je lui lance un regard qui se veut désolé, mais je crois qu'il est seulement vide. Bah, ce n'est pas grave.Mes iris sont-ils bleu ou gris aujourd'hui ? Ce n'est pas très important, je les repose sur la fille qui vient de parler, qui aimerait qu'on vote chaque décision de façon démocratique -elle a un peu trop articulé ce mot, elle a du l'apprendre récemment.
Hide pose ses yeux sur elle comme si elle venait de dire une connerie. Hide. Ce type leur en impose il faut dire, autant, voir plus que Ren qui nous dépasse tous d'une tête. Il a une sorte de feu à l'intérieur, un aplomb naturel qui fait que les autres se taisent pour l'écouter.

- La démocratie c'est pour les cons.

Je ne peux m'empêcher de sourire, à cause de la tête qu'ils font presque tous.
Après tout moi aussi je me tais pour l'écouter parler.

- Vous croyez qu'on a le temps de se prendre la tête à faire un vote à main levée à chaque fois qu'on devra prendre une décision urgente? Un tel système est bon pour ceux qui ont établi leur survie et on le luxe de perdre du temps pour se faire croire que leur avis peut changer quelque chose. Non dans notre situation seules deux choses pourraient marcher.

Il marque une pause. J'ai l'impression que ce n'est pas uniquement théâtral, mais qu'il attende la suite de sa phrase sur d'autres lèvres que les siennes. Il était déjà trop maigre pour sa taille avant de monter sur les toits, un jeune vieillit trop vite qui ne tient que par ses nerfs, et par le petit corps dans son ombre à protéger. Je devine que l'une des solutions est simplement d'avoir un chef, je ne le dirais pas, je sais qu'il n'a pas envie d'être celui là, mais il se trouve que moi non plus.
Ren finit par proposer une réponse. Jusqu'ici c'est lui qui a donné les principaux ordres avec Hide. "Grimpez!" par exemple.

- Pas de système... chacun pour sa gueule, articula une voix grave.

Les yeux noirs de Hide tombent dans ceux de Ren comme s'ils venaient de trouver une épaule sur laquelle se reposer. Il acquiesce lentement.

- Ou alors une seule autorité, à la voix incontestable. Le plus prompt à avoir la meilleure décision.

Je devine l'envie des autres de chuchoter entre eux. Nous avons tous rêvé au moins un jour d'être livrés à nous même; libérés de l'emprise étouffante de nos parents. Puis nous les avons perdu dans l'incendie. Personne n'a encore envie d'être sans entité responsable d'eux, sans aucune sécurité, de nouveau seul. Hide propose très rapidement que cette personne soit Ren. Je tourne mes yeux vers le grand brun qui est resté impassible.
Je me permet de glisser un murmure.

- Ren et Hide.

Un garçon à côté de moi termine ma pensée. Ça tombe bien je n'aime as non plus avoir à assumer ce que je dis. Je ne comprend pas tout le temps pourquoi certaines de mes paroles sont mal prises.
A la fin de la discussion Ren et Hide sont nos deux chef de file. Ils n'ont pas fait de manières à être deux, jusqu'ici leur ordres rebondissaient l'un sur l'autre, de façon si simple qu'ils semblaient être deux morceaux de la même âme.
Nous nous relevons tous, et nous les suivons.
Nous n'avons pas mangé depuis trente-deux heures, et personne n'ose encore se plaindre. Nous avons perdu une des rares filles qui nous accompagnait. Tombée de l'immeuble. Personne n'a pris le temps de s'apitoyer sur sa mort, nous devions encore fuir à ce moment.

Ren nous enfonce un peu plus loin dans le quartier résidentiel, ou plutôt au-dessus. Il s'agit du quartier populaire. Ici les abris sur les toits sont assez grands, ça devrait faciliter à notre installation.
Je trompe ma faim en essayant d'imaginer comment nous pourrions nous nourrir, à un peu plus de trente. A part chasser les oiseaux je ne vois pas. Aucun de nous ne demanderait de l'aide à un habitant de ces immeubles. Plutôt crever que supplier de l'aide la part du monde qui nous a traqué.


Pour ma part je m'appelle Shin, j'ai dix-huit ans et je suis l'un des premier Orphelins.



Je sens le vent sur mon visage, le long de mes tempes qui glisse jusque dans mes cheveux. Pendant quelques secondes, au dessus de dizaines de mètres de vide, je vole. Je pense à l'endroit où nous devrons nous établir ce soir, et à comment trouver à manger ici. Mes pieds reprennent contact avec ce qui restera "notre sol" pour longtemps ; du béton parsemé de quelques gravats. Je me retourne et me met sur le côté pour attendre les autres. Ren était déjà devant moi. Je vois les corps élancés défiler devant mes yeux, j'essaie de retenir tous leurs noms pour que ça serve à quelque chose. J'ai retenu le prénom des trois autres filles qui nous accompagnent, c'est facile. Penser à elles m'agite quelque chose dans la tête, comme une alarme, puis j'oublie. Je ne me souviens que ce n'était pas une priorité. Je tend les bras à ma soeur, pour l'aider à finir son saut. Et puis quelque chose sa passe.
Sa main n'attrape pas la mienne. Pourtant elle est bien tendue dans ma direction.
Je vois ses yeux, grand, immenses, écarquillés par la peur. Ses lèvres s'ouvrent et je sais ce qu'elle veut me dire. Rattrape-moi. Sauve-moi.
L'instant d'après je ne la vois plus.

Je reste quelques secondes sans bouger. Quelque chose de grave vient de se passer je crois... je ne suis pas sûr.
J'approche du bord de l'immeuble et regarde en bas, une vision assez vertigineuse pour me remuer les tripes. Il y a quelques secondes j'attendais ma soeur, elle était en train de sauter pour me rejoindre. J'ai peut-être eu une vision à cause du manque de nourriture, peut-être que je ne l'ai pas vue passer.
Je me retourne vers tous les autres, je la cherche parmi eux. C'est drôle ils tirent tous une de ces têtes. Peut-être parce que je les retarde. Ouais c'est vrai. Ce n'est pas mon rôle. Mais ma soeur n'est pas au milieu d'eux.
Je ne sais pas pourquoi je murmure son nom au vide. Puis un peu plus fort.
Je l'appelle.
Peut-être qu'on l'a oublié sur un toit derrière nous. Dans ce cas j'irai la chercher et je rejoindrais les autres.



Personne ne sait quoi dire. Surtout parce que son comportement est bizarre.
Je le regarde, j'ai peur qu'il devienne fou, qu'il ne le soit déjà. Je ne le connais pas depuis longtemps, et je ne l'ai vu que raccroché au bras de sa soeur, s'inquiétant de chaque geste qu'elle faisait.
Nous aussi, je crois que nous avons du mal à croire qu'elle est morte depuis quelques secondes, alors qu'il y a une minute elle était encore debout, bien vivante, se plaignant qu'on marchait trop vite.
Les muscles de mon cou sont crispés, je sens mal la suite.

Justement une fille s'approche de Hide. Amako, une jeune japonaise lambda, pleine de naïveté et de bêtise entourée de bonne volonté. Le genre de fille à faire des connerie et avoir sur les lèvres un éternel "je voulais bien faire". Elle s'approche cérémonieusement de lui et pose sa main sur son épaule. C'est déjà mauvais. J'ai le temps de faire deux pas vers elle avant qu'elle ne dise lentement avec sa voix trop aiguë.

- Elle est morte, Hide. Elle est tombée.

J'étouffe un juron, peut-être une insulte. Les épaules du jeune tressautent, comme s'il riait, ou tremblait. Elle est un peu décontenancée mais est persuadée qu'on a besoin de sa compassion.

- Je suis désolée.
- Ta GUEULE !

Il l'a frappée, je ne sais pas où mais je sais qu'elle est plus choquée que blessée. Hide s'époumone à hurler le nom de sa soeur. On l'a tous entendu tant de fois quand il la mettait en garde. J'allonge le bras pour rattraper ce petit con avant qu'il ne saute. Sans doute qu'il espère voir dans ses dernières secondes de vie le corps disloqué de sa benjamine, là en bas, pour savoir s'il doit mourir en se maudissant ou non.
Il crie encore, lâche moi connard. Sa voix n'a jamais été aussi rauque. Il se débat, et si je le lâche il sautera sans doute. Et moi qui ne suis pas très versé dans les mots qui calment. Mais sans doute dirait-il que ça aussi c'est pour les cons.
Je lui donne un coup. Un grand, un fort, de toute la paume de ma main qui est bien grande comparée à sa tête. Ça l'assomme un peu, quelques secondes, et je le prend contre moi comme une poupée de chiffon, le plus sûr étau que j'ai à disposition. Sa voix est étouffée contre mon t-shirt, il faut dire que je le serre sans ménagement, il essaie déjà de me frapper. Jusqu'à ce que ses cris deviennent des pleurs, jusqu'à ce que je n'ai plus qu'un adolescent à bout de nerfs tremblotant dans les bras. Je caresse maladroitement ses cheveux trop longs, mais je n'ose pas encore desserrer mon étreinte. J'ordonne aux autres de continuer jusqu'au toit suivant et de s'y installer pour s'y endormir. C'est la deuxième nuit qu'on passe sur les toits, ils savent y faire.
Ils s'exécutent et me voilà seul avec mon fardeau, le seul type qui partage avec moi la responsabilité d'une trentaine de vies. Pas question qu'il me clamse entre les doigts.

Je m'assois par terre et le garde contre moi. Il ne tournera pas la tête, ne montrera ses larmes à personne. Moi je les sens, elles trempent mon t-shirt noir et répandent leur humidité sur ma peau. Au moins ses épaules ne tremblent plus. Je ne le dis pas mais j'espère de tout mon être qu'il ne devienne pas dingue, qu'il reste avec moi.
Le temps passe et il s'endort. Je reste assis et j'essaie de ne pas m'endormir, parce que je dois veiller sur lui, faire attention à ce qu'il ne fasse pas de cauchemar et se précipite dans le vide pendant mon sommeil.
Mais j'ai tellement de mal...

- Je vais t'aider.

La voix est claire et sans appel. Mes yeux se posent sur un ado qui ne fait pas son âge, un visage jeune, des yeux calmes et sages. Je remet son nom, mais sa voix me surprend. Il fait partie de ces gens qui endurent tout sans se plaindre, en déconnectant leur esprit, les yeux toujours posés ailleurs que sur ce que regarde la masse. Quelques secondes supplémentaires me permettent de me souvenir que c'est lui qui a proposé que nous soyons deux à veiller sur tout le monde, celui qui m'a sans doute sauvé la vie sans le savoir. Il ne sourit pas, il m'appuie sur les épaules pour me faire tomber, pour que je m'allonge en tout cas, avec le petit dans les bras.
Je surprend un battement de cils.

- Si tu veux vraiment ne pas le lâcher, ton corps devrait le tenir même pendant ton sommeil.

Nouveau battement de cils, puis il a un sourire un peu gêné.

- Enfin je crois. Comme je suis pas sûr et que je ne veux pas non plus qu'il meure, je vais m'allonger de l'autre côté et le tenir.

Et il le fait. Je le trouve bizarre et dérangeant. On se serait connu quelques années plutôt dans une cour d'école, je l'aurais sans doute tabassé, lui et ces yeux clairs fixés sur un autre rêve. Mais là je m'endors en serrant un gamin brisé contre moi, les bras entrelacés à d'autres pour lui créer une cage idéale. C'est pour ça que nous sommes là tous les deux. Créer une cage autour de ces enfants, une cage qui les protègera, jouer les figures autoritaires qu'ils ont besoin de détester pour se construire.

Je m'appelle Ren, dix-neuf ans, et je dois veiller sur les premiers Orphelins.



Dernière édition par Admin le Sam 6 Nov - 13:34, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Ancien Testament    Ancien Testament  Icon_minitimeJeu 4 Nov - 23:26

Cela fait plus d'une semaine que nous avons rejoint les toits. Des systèmes se sont mis en place pour ce qui nous était le plus urgent : trouver assez de nourriture. La première tentative fut assez folle. Un Orphelin descend sur la façade des immeubles, assurés par une corde et un camarade en haut. Alors là lui il se débrouille pour ouvrir les fenêtres, toutes semblables sur ces bâtiments, et voler ce qu'il peut de nourriture. En faisant quelques foyers nous arrivons à avoir un repas à nous partager entre tous.
Savoir si les riverains réagiront ou pas, ce n'est pas mon problème immédiat.
Ren me fixe toujours, je cligne des yeux et je daigne sortir de mon silence rêveur.

- Et donc ?

Oui oui. Je n'ai pas oublié que je devais lui répondre. Je passe une main dans mes cheveux. Ils sont toujours noirs, toujours longs, mais sales, comme ceux des autres. Même si nos corps se lavent à la pluie, nos cheveux continueront à accumuler leur crasse jusqu'à ce qu'on arrive à dévier un conduit d'eau, ou quelque chose.

- Je ne te suis pas.

Ha c'était bien pour ça que je ne voulais pas répondre. Les yeux, et tout son corps en fait expriment à quel point je le déçois. C'est bien un comportement niais qui me donne envie de coller des baffes, la fameuse "déception" qui emplit les êtres humains quand on ne cède pas à leur caprice.
Shin nous rejoint, de son pas rêveur, et je devine le "qu'est ce qui se passe" avant qu'il ne coule de ses lèvres, calme, léger... et vraiment pas intéressé. On pourrait ne pas lui répondre qu'il ne s'en rendrait même pas compte, et tomberait du toit en suivant un papillon. Dire que je l'apprécie quand même...
Ren prend la peine de lui répondre.

- Il se passe que je veux aller chercher les autres. Ceux qui ont perdu leur parents et qui sont en bas, à crever dans un coin de rue.

Bieeen. Et j'enchaîne naturellement.

- Et je lui ai simplement conseillé de les laisser crever en bas, qu'on les accueillerait s'ils avait la jugeote de monter comme nous l'avons fait. Mais notre sécurité passe avant ce genre de...
- De quoi ? De connerie ? L'entraide aussi c'est pour les gens bénéficiant de confort et de temps à perdre ?
- Exactement.

Ses yeux noirs sont dans les miens. Je sens son envie de me frapper. Pour mon air égal, pour ma franchise quand je dis que d'autres enfants comme nous peuvent bien crever, que je m'en fout. Je sais qu'il ne le fera pas, parce que malgré tout... malgré tout.
Shin intervient.

- Dans ce cas Ren peut y aller et Hide continue à veiller sur nous ici.

Ce type parle peu, mais d'une façon ou un autre, il est toujours exécuté. On peut s'en rendre compte, Ren et moi le savons, mais on ne peut pas s'énerver là-dessus. on ne sait pas ce qu'il se passe dans le cerveau de ce type, dissimulé sous son front blanc et ses cheveux trop clairs.
Ren finit par partir, il se retourne, hésite avant de nous adresser un signe de main. Je lui répond, Shin aussi sans doute.


Quand il revient, quatre jour plus tard, il ramène autant de jeune que nous étions déjà. Il est épuisé mais sourit comme un crétin bienheureux avant de tomber d'épuisement. Il les a ramené, ses enfants perdus, et maintenant la rumeur court même en bas que des gamins ont ralliés les toits pour y vivre.
Ces gosses étaient tous en bas, à faire les poubelles et dormir par terre. Quoique nous n'avons pas de lit à leur proposer non plus, seulement une place par terre allongés entre nous. Que des garçons. Quand je leur demande pourquoi aucune fille ne les accompagne ils répondent tous la même choses. "Attrapées".
Notre population a doublée, mais les abris sont grands. Et on a besoin de chaleur, avec les températures qui descendent.


Une semaine passe encore. Je commence à scruter les filles quand je les croise, les trois qui restent. C'est comme si elles se fanaient jour après jour. Éteintes, fatiguées. Peut-être que trop loin du confort elle mourront. Ça me laisse perplexe. Assez pour que je ne dorme pas ce soir. Assez pour que je sache que parmi la soixantaine d'Orphelins de 7 à 19 ans que nous sommes, il y a des crétins qui découvrent le travail de leurs hormones.
Je ne dors pas, ma joue s'écrase contre le bras de Ren -il a tendance à s'étaler quand il dort- et j'écoute pendant très longtemps les geignement étouffés qui résonnent. Je ne dors pas... pas cette nuit.





La petite Aiko me regarde, elle déborde d'envie de meurtre. A ses côtés ses deux compagnes ont une attitude plutôt soumise. Désespérées, mais soumises. A mes côtés il y a Ren, et Shin qui est toujours près nous, allez savoir pourquoi. Je leur offre le luxe du silence, c'est moi qui leur explique. Elles sont venus se plaindre des viols. Je leur ai répondu que je savais, que je ne ferais rien pour elles.

- Mais pourquoi ?!

Aah. Se justifier. Encore une connerie que je n'aime pas. Je vais finir par bénir l'époque ou on ne votait pas à main levée des conneries qui ne changeraient la vie de personne, où on n'avait pas à justifier ses actes, ses pensées et ses décisions.

- C'est extrêmement simple. Si je leur dit de vous laisser tranquilles, ils ne m'écouteront pas, au pire j'aurais donné l'idée à ceux qui ne l'ont pas encore eue. Ensuite si chacune de vous se plaçait sous la protection d'une personne et d'une seule, il y aura des jalousies, il y aura des disputes, des dissensions. Et nous devons éviter ça.




J'ai fermé les yeux. Une seconde je crois. La gifle m'a surpris. Pourtant ce n'est qu'une gifle de femme, et elle ne m'était même pas destinée, mais elle semble plus spectaculaire assenée sur ce corps fin et pâle. A côté de moi Ren ne s'est même pas tendu. Alors il n'y a pas de problème.

- Tu nous demande gentiment de continuer à faire les putes. Mais rappelle-moi, ce n'est pas pour éviter ça que nous avons fuit jusqu'ici?

Je ne sais pas si Hide l'écoute. Ses doigt effleurent sa joue, trop longs, trop minces. Je sens sa colère, je la sens comme si elle était dans mon propre corps. Il avait un peu de pitié un peu plus tôt, mais il n'y a désormais en lui que cette colère qu'il contient, mais qui ne lui inspirera plus de clémence, ni même de parole apaisante ou réconfortante. Depuis la mort de sa soeur, son esprit n'est qu'une porte battante, laissant entrevoir par à-coups quelque chose d'effrayant, couleur de démence.
Sa voix est différente quand il reprend, sourde, pesante.

- Est-ce que tu sais que vous n'êtes que trois filles? Seulement trois. Trop peu pour se permettre d'instaurer des couples ici, sur les toits, à peine assez pour satisfaire les hormones de ces gamins. Mais quoiqu'il en soit vous êtes une quantité négligeable. Essayez de vous en rendre compte et de vous en souvenir. Nous n'allons pas sacrifier notre cohésion pour votre confort et votre amour-propre.

Chaque mot a été soigneusement détaché des autres. Je me demande s'il a envie de découper quelqu'un de la même façon. Les deux filles aux yeux baissés sont au bord des larmes ou un peu plus loin, et je ne crois pas voir de mot pour décrire l'état de la dernière. Aiko. Elle serre les dents, et marmonne un "très bien". Elle s'éloigne à pas raides.
Plus tard, dans la même journée, je la retrouve avec des cheveux coupés sauvagement. Je n'épie pas les gens. Je me promène souvent, ce sont eux qui ne me remarque jamais. Il y a des fois où je me suis tenu une heure à côté d'une personne, sans qu'elle me remarque. Je suis resté la regarder, porter ses longs cheveux coupés en offrande au vent. Petite Aiko.



Les quelques filles montées sur les toits avec les Orphelins sont restées parmi eux trois ans. Quelques mois après leur appel ignoré, les plus jeunes sont tombée malades, suite à des infections non soignées. L'une en est morte, l'autre a sauté d'un toit avant de subir le même sort. Seule Aiko est restée plus longtemps, avant de disparaître du jour au lendemain. Aucune fille ne rallia les toits depuis, leur existence se jouait en bas.

Pendant des mois, la communauté naissante ne cessa de s'agrandir, abreuvée par les Orphelins de l'incendie, puis tous les autres enfants abandonnés par leur famille. Tellement et tellement qu'une première scission fut nécessaire. Un grand rassemblement eût lieu pour séparer la communauté en deux. La quartier où allaient partir ceux qui suivaient Ren était situé sur des habitations plus luxurieuses, y "pécher" la nourriture serait plus difficile, mais elle sera plus abondante. Les personnes les plus volontaires ou les plus fortes le suivirent.

Hide avait baptisé depuis longtemps le quartier sinistré Spades. Il nommait le siens "Hearts", plus parce qu'il lui inspirait un coeur et un centre que par réel souvenir conscient de la carte qu'il avait vu, un jour, il y avait déjà longtemps. Ren nomma ironiquement son quartier Clubs.
Ce n'est qu'un peu plus tard que Shin partit, suivit d'une poignée d'autres, partant vivre au dessus du quartier des affaires, fait d'immeuble de verres, sur lequel il n'y avait rien. Ceux qui le suivaient était des marginaux, enfants emmurés dans leur mutisme, asociabilité, où tout simplement plus doux et rêveurs que la plupart des autres. Ce quartier, le moins peuplé, fut baptisé Diamonds, et ce nom convenait à Shin.
Les trois meneurs, désormais seuls sur leur territoire, disposaient d'une autorité sans égale, et bientôt on les appela "Roi". De façon ironique ou symbolique, peu importait puisque bientôt cela s'imprima dans le langage courant, celui des Orphelins. Le plus influent de tous était sans conteste Hide, Roi de Hearts, celui qui régnait sur le plus grand nombre d'Orphelins.

Les habitudes que prenaient la communauté les dispensait de passer leur journée à se promener pour superviser les différentes activités ; aménagement d'un nouvel abri, premiers soins accordés à un blessé, constitution des équipes de Pécheurs. Leur rôle était de veiller au calme, d'accueillir les nouveaux arrivant qu'on leur présentait, leur désigner un tuteur parmi les Orphelins plus anciens, estimer si un Pécheur nouvellement formé pouvait oui ou non débuter ses missions d'approvisionnement... Et bien sûr en tant que Rois ils avaient le devoir de protéger leur communauté, chacun responsable de son quartier, mais se retrouvant et réfléchissant ensemble des décisions les plus importantes.
A cause de leurs vols de nourriture, les habitant des immeubles engagèrent finalement des sorte de Gardiens, des personnes armées de matraques et divers joyeusetés chargés de garder le toit de la résidence et d'empêcher les enfants d'y commettre leurs larcins. Mais il s'agissait en général d'individus bedonnant de la quarantaine cherchant à arrondir leur fin de mois, et il ne faisait presque jamais usage de leur armes, demandant simplement aux gamins d'aller voir sur le toit d'à côté. De plus seuls les riverains de Clubs pouvaient se payer ce luxe, et pas tous. Les Gardiens ne travaillaient pas le Dimanche, cela suffisait aux Orphelins pour se ravitailler, et les familles savaient qu'il fallait faire ses courses le lundi. Une sorte d'équilibre régnait alors.

Habitués depuis des années à sauter les trois ou quatre mètres séparant les immeubles, ceux qui se nommaient Orphelins s'habituèrent rapidement à cette sensation grisante qui les prenait quand ils survolaient le vide, les rues sordides n'étant pour eux qu'un abîme noir et synonyme de mort. Ils adoraient le Ciel et le Vent, en firent quasiment des divinités, des sortes d'anges gardiens, les témoins des ailes qui leur poussaient aux chevilles après quelques années à sauter de toit en toit. Ils méprisent communément le sol, "en bas", synonyme de berceau brûlé, d'abandon, de fuite et de prostitution forcée. La plupart étaient venu sur les toits en se raccrochant à la rumeur comme à une légende, et se retrouvent dans un autre monde, sans mur et dotés d'un ciel infini, avec seule peur le gouffre sous leurs pieds.



10 ans passèrent



Mes pieds touchent enfin le sol. Mon corps finit de se stabiliser sur le rebord du toit, je chasse d'un revers de main mes cheveux clairs encombrants. Ces liaisons sont toujours aussi peu simples à passer. Celles reliant Diamonds et Hearts est un passage obligé, même pour ceux venant de Clubs... mais disons que le coup du pont de planches suspendu au dessus du vide ne m'a jamais plu. Je préfère quand ma survie dépend de mes jambes, de ma capacité à sauter et me rattraper sur l'autre toit.
Je me retourne. Justement le Roi de Clubs achève de passer la liaison. Dans son dos est accroché une batte de base-ball métallique, le bout cerclé d'une rangée de clous. Je ne vois pas vraiment à quoi cela nous serre, nous n'en avons pas l'utilité, à moins qu'il n'essaie de tuer des pigeons avec ?
Il me rejoint et fait un signe de tête en direction du quartier. Oui oui on continue.
Il est un peu tendu à vrai dire. Et c'est normal. Il y a une semaine il a reçu un petit bout de carton. Ça aurait pu être une carte de jeu, ça aurait pu être l'as de Trèfle s'il y avait eu les petits symboles caractéristiques. Tout comme moi j'en ai reçu une frappée d'un Carreau, comme Hide a reçu un as de Coeur. Au dos seule un brève inscription, "dans une semaine au soir, autour du Roi de Coeur". Alors nous sommes venus.
Ren part déjà et je dois abandonner rapidement mes pensées pour ne pas me faire distancer. Sa carrure s'est développée, ses jambes se sont allongées, mais moi je n'ai pas l'impression d'avoir tant changé.
Nous arrivons au coeur de Heart une heure plus tard. C'est bien parce que nous avons couru.
Hide nous attend. Lui non plus n'a pas tant grandi. Son corps s'est installé dans la minceur qu'il avait prise, ses cheveux sont toujours aussi longs, aussi noirs, et du maquillage, le même depuis des années entoure ses yeux, et descend en un larme noire dessinée sur sa joue. Ceux qui le connaissent repensent à ce jour où il a perdu sa soeur, mais personne ne se risquerait à faire le rapprochement à voix haute.


Le soir tombe enfin. Les Orphelins désertent les toits, et nous restons, ne sachant même pas ce que nous devons attendre. Le vent se glisse sous mon t-shirt trop ample pour le faire voler autour de moi. Je me sens fatigué en plus, bien que ce ne soit pas le moment. Je lève les yeux vers les étoiles. Même être Roi du plus petit quartier, le moins renommé c'est encore trop pour moi. J'aurais préféré que les Orphelins m'oublient quand ils sont partis dans leur trip de nous appeler ainsi et de totalement se reposer sur nous. D'ailleurs c'étaient les grands mot de Ren et Hide ça, "protéger la communauté". A vrai dire je voulais juste être auprès d'eux, je n'avais pas d'autre ambition. Je frissonne. Bientôt, un bruit résonne sur les toits. Lourd et régulier. Je l'ai déjà entendu quelque part, mais c'était il y a longtemps. Je cherche en moi comme je regarde au-dessus d'un étang aux eaux troubles. Ce son... Des talons qui frappent le sol.
Je me retourne. Et effectivement un femme nous a rejoint. Le son était produit par ses bottines -quelle idée de venir comme ça sur les toits ?
Elle est grande, plus grande que moi je crois, des cheveux coupés courts encadrant son visage. Elle est jeune, et elle a l'air volontaire. Ren parle en premier.

- C'est à toi que nous devons ces invitations?
- Oui.

Le réponse est courte, mais pas vraiment sèche. Sa voix est un peu grave, sensuelle, et poisseuse. Un peu comme du miel. Hide sourit. Un peu, puis son rictus s'élargit rapidement.

- Ça faisait longtemps...


°~

Ses yeux se posent sur moi. Elle nous a scruté depuis son arrivé et je pense deviner en partie pourquoi. Ses lèvres lourdes de maquillage s'ouvrent de nouveau, peut-être que la fraction de seconde de silence qui les retient encore appartient au passé, au souvenir et aux larmes d'une adolescente maigre et hirsute.

- Très longtemps, Hide.

Ses yeux sombres et effilés font de nouveau le tour de l'assemblée. Peut-être repense-t-elle au jour où elle est partie.

- Alors maintenant vous êtes des "Rois".... Même toi Shin.

Je le sens frissonner et se tasser un peu sous l'autre regard qui l'écrase. Il a toujours eu l'air si fragile, avec ses cheveux fin et trop pâles, son air doux et ses yeux trop clairs, incapables de dissimuler ses émotions et protéger son coeur. Aiko n'est certainement pas revenue nous voir par nostalgie, c'est exactement ce que rappellent ses regards acérés et ses silences méprisants.
Je ne vois pas pourquoi je la laisserais mener la discussion plus longtemps.


- Nous avons tous cru que tu étais morte Aiko. En fait tu as simplement quitté les toits pour revenir au sol.

Je retient un serpent qui tente de me glisser les lèvres. "Alors finalement être pute en bas, c'est mieux? Tu t'es sentie plus considérée?" Je ne pense pas que je doive le dire. Pas parce que c'est indigne de ma part, pas parce que c'est cruel, mais parce qu'elle n'a rien fait de plus qu'intimider Shin pour le moment, que je ne veux pas être le con qui ouvre les hostilités. Je me mord la lèvre en souriant nerveusement.

- C'était mieux en bas ?

Mon ton est doux, et je suis tellement occupé à être hypocrite que ça passe, ses défense l'acceptent. Je crois même qu'on est partis pour un petit moment de racontage de vie à la mords-moi-le-noeud. Ce ne m'étonne pas qu'on doive passer par là. Ce n'est qu'une fille après tout.

- Oui. Ça a été dur mais j'ai réussi à m'en sortir, même si j'ai passé des années à récurer les bureaux du Quartier d'affaires -vous l'appelez Diamonds je crois ici. J'ai enchaîné les petits boulots jusqu'à trouver un mari. D'une génération de plus mais aisé et surtout très influent.

J'essaie de ne pas tordre mon sourire. Ne pense à rien. Même si c'est minable, même si elle a abandonné notre monde pour ramper au sol comme les autres, ça ne devrait même pas t'atteindre. Je sens son regard nous caresser, encore, de façon plus douce cette fois, presque rêveuse.

- C'était il y a presque dix ans. Et je reviens. Mais vous... vous n'avez pas changé.

Elle se tait, mais cette fois c'est pour laisser le vent passer entre nous, nous englober et nous caresser. Je pourrais presque sentir son sang d'Orpheline refaire surface, pulser et éprouver une douce nostalgie. Même si elle a souffert, même si elle a saigné ici, elle se souvient de la peur et des rires, du son du vent et de l'ivresse du vol. Je la sens vaciller, je la sent presque partir.

- Le temps s'est vraiment arrêté ici ?...
- Nous ne ressemblons pas à des adultes Aiko ?

La question la surprend, elle nous détaille des pieds à la tête, avec cette même douceur, on la croirait un instant au bord des larmes. Je prend le temps de regarder à quel point elle a vieilli. L'adolescente un peu maigre et plate s'est transformée en femme, en être de chair, douce, sans doute moelleuse, ses os minces et résistants emprisonnés dans une couche de graisse inutile. Elle n'est pas grosse, elle correspond tout à fait aux canons d'esthétique du moment, mais c'est déjà trop. Elle ne peut plus voler.

- Non. Vous êtes des enfants. Vous êtes resté des enfant, ou devenu. Je ne sais pas.
- Comme des enfants. Heureux, innocents, et sans coeur.

Shin bat des cils, conscient d'être devenu le centre d'attention. Je n'ai aucun problème quand à son empathie mais j'admets que trouver nos pensées dans la bouche d'un autre est un peu déconcertant, gênant parfois. Il lève les yeux vers Aiko.

- C'est une phrase de livre?
- Oui. Un livre anglais. Mais je crois que la culture n'a pas la même valeur dans votre monde.
- Non en effet.

Il bat calmement des cils, et Aiko se détend peu à peu, seule face aux yeux clairs. Shin excelle dans tout ce qui est diplomatique. Il dérange par sa trop grande "compréhension", mais met à l'aise avec son calme, et son aura de sérénité. Il hypnotise les gens, et je sais qu'en ce moment elle a parfaitement oublié la raison de sa visite. Je me sens obligé de les couper dans leur délire, avant qu'ils ne s'assoient par terre et commencent à refaire le monde à grands coups de paroles rêveuses. C'était un autre truc de Shin. Réveiller les rêves des autres.

- Et donc? Tu es revenue pour?

Elle bat des cils, a un mouvement de recul, et tous ses muscles se crispent de nouveau le long de son dos. La magie est brisée et la réalité reprend ses droit, absolue et acérée comme du verre, elle efface le rêve, la douce illusion que ces dix dernières années n'ont jamais existé.
Elle se tient droite, et parle en fouillant dans son sac. Peut-être pour ne pas nous regarder. Elle affecte un ton léger.

- C'est incroyable comme les gens d'en bas sont loin de s'imaginer ce qu'il se passe ici. Ils parlent des Orphelins comme des entités réelles mais vous considèrent presque dans une autre dimension. Ils vous imaginent dormir par terre sous la pluie, et ne bronchent pas plus que ça quand vous vous servez dans leurs frigo. Peut-être pour alléger leur conscience. Mais d'autres gens s'intéressent à vous.

Elle sort quelque chose de son sac. Ce qu'on s'attend à trouver dans un sac en somme : des papiers, des petits emballages bruns dans lesquels se trouvent des cartes. Mes bras se nouent sur mon torse. Elle tourne autour du pot, elle savoure un moment qu'elle attend depuis dix ans, cette psychopathe.

- On veut vous attraper, et vous vendre à bon prix, dans les bordels de luxe d'autres pays, comme des animaux exotiques. Ou encore vous revendre comme animal de compagnie à des vieux fétichistes. Ou pour des choses pires encore, pas mal de gens dans le monde payeraient pour avoir de beaux échantillons humains avec lesquels faire progresser la science.

Elle nous regarde. Elle sourit.

- Enfin pas vous en particulier bien sûr, mais tous les gamins sous votre protection aussi. Un groupe de chasseur à été créé. Ils monteront bientôt sur les toits. Ils sont payé au poids de la viande.
- Arrêtes tes conneries.

Shin et Ren commençaient à sentir leur sueur froide dans le dos si je ne me trompe pas. Je ne doute pas un instant de ce qu'elle dit. Nous voir finir dans des bordels, sans doute qu'elle en crevait toutes les nuits depuis tout ce temps rien que d'y penser. Sans doute qu'elle couche avec un type qui a vingt ans de plus qu'elle dans ce seul but.

- Tu peux y aller directement non? Le vieux qui te sert de mari est dans un mafia, ou peut-être un maque. Si tu ne lui a pas donné l'idée de nous courir après tu l'a sûrement encouragé. La seule question qu'il reste à trancher c'est : est-ce que tu est venue sur un coup de pitié nous avertir et nous dire de partir ou bien tu es juste venue te vanter du fruit de tes coucheries ?

Je reprend mon souffle. Je sens Ren réagir à mes mots, je sens sa colère, et Shin s'est repris ; ses paupières battent comme les ailes d'un papillon qui aurait goûté du LSD.

- Je te jure que si c'est la dernière option, je te tue.

Elle sourit, et les papiers jouent entre ses doigts. Je les avait oublié ceux là.

- Ni l'un ni l'autre ô grand Roi. Je suis venue vous faire une proposition. A vous, les trois Rois des gamins esseulé qui vivent sur les toits. Voyez vous chacun de vos protégé vaut son pesant d'argent. J'ai entre mes mains cartes d'identité, passeports, tout un tas de papiers pour chacun de vous pouvant vous réintégrer en bas. Et une licence de chasseur qui vous permettra d'être payé, quand vous nous aurez livré tous les enfants de vos quartiers respectifs.

Je dois avouer qu'elle a fait fort. En dix ans je n'avais jamais vu Shin en colère. Ren est prêt à bondir. Je peux les comprendre. Un torrent d'insultes aurait été moins dégradant que d'entendre ça. Nous ravaler à des simples hommes, de simples fonctionnaires en quête de profit. Je la vois elle, calme, sûre d'elle, certaine que nous allons nous jeter sur la fortune, comme si nous avions envie de retourner en bas.
J'éclate de rire, une crise de fou rire que je ne peux pas contrôler, brisant l'élan de rage des deux autres. Je repense à cette gamine qui venait demander de l'aide, je la superpose à celle qui revient maintenant. Comme elle est pitoyable...
Quand j'ai assez de souffle pour enfin parler, je me redresse.

- Tu as cru. Tu as cru que tu pourrais nous appâter avec ça? On dirait que tu n'a jamais fait partie des nôtres. Comme si tu pouvais nous corrompre en agitant de l'argent sous notre nez. Nous n'avons jamais été comme toi.

Ou plutôt, elle n'a jamais été comme nous. Je me fend d'un sourire en repensant à son merveilleux plan, à toutes ces années gâchées, couchée en travers d'un oreiller à maudire notre ciel.

- Tu es vraiment restée une femme jusqu'au bout.

Ses épaules tremblent. Elle fulmine. Mais elle essaie de se contenir pour une fois. La colère des deux autres rois s'est apaisée, elle range ses papiers dans son sac, sans plus en prendre soin. Elle passe une main dans ses cheveux noirs, une main fine et rose, aux ongles luisant soigneusement coupés.

- A vrai dire... j'espérais que vous auriez accepté.

Petit moment de silence. Le vent à cessé de souffler. Je ne m'en rend compte que maintenant. Je tourne la tête, comme si j'avais pu le voir. Mais rien, évidemment. juste la nuit.

- Tu voulais savoir quelle part j'avais pris dans le projet, Hide. Je vais te dire ce que je leur ai chuchoté à l'oreille. Oui les trois Rois risquent de refuser notre proposition, et nous ne trouverons pas assez de gens bien portants et assez dérangés pour chasser des enfants. Alors c'est simple. Proposons à ceux d'entre eux qui sont adultes de livrer leurs frères. Délivrez une licence à tout Orphelin de plus de 20 ans prêt à nous servir, et après un certain quota, nous lui offrirons ses papiers pour une nouvelle vie. Voilà.

Silence. Il y a de quoi jeter un silence. Proposer aux autres Orphelins qui ont passé vingt ans de capturer leurs frère pour de l'argent? Mon visage reste égal, mais je sais au fond de moi que, malheureusement, il y en a trop qui accepteraient. Elle ne s'est pas trompée.

- Monstrueux...

Ce petit bout de voix, c'est Shin. Je me demande si ses yeux bleu sont déjà fixé sur un futur proche et complètement chaotique. Il y a des chances. Ren parle à son tour. Sa voix est sourde et vibrante.

- Et comment vous allez reconnaître ceux qui les auront, ces vingt ans passé ?

Elle fait mine de réfléchir, avec un air de pétasse étudié.

- Mmmh... et bien on fera ça au ju-gé je pense. On mettra la barre aux environs de 22 ans pour ne pas se tromper, et on acceptera ceux à qui ont donnerait cet âge. S'ils sont plus jeunes ce n'est pas très grave.

Elle hausse une épaule.

- Ha oui. Vous ne le savez pas mais là en bas, 22 ans c'est l'âge où un adulte peut s'acheter un appartement, une voiture. Avant il est plutôt géré par ses parents vous voyez ?

C'est écoeurant. Je n'ai rien à lui dire, je n'attend plus qu'elle se barre avant que je ne la pousse moi même du toit. Ça me démange l'intérieur des mains. Elle doit le sentir, dans mon regard -ou autre chose, je m'en tape- mais elle finit par fixer le sol d'un air doucement ravi et dire c'est tout, je rentre. Et elle quitte les toits, sans doute que ses associés l'ont aidé à y monter. Il n'y a pas d'escalier de secours en métal sur la paroi lisse et verticale des toits de Yokkai, c'est pour cette raison que ce n'est pas si évident de s'y trouver.
Le vent s'est remis à souffler, il joue dans nos cheveux et essaie de nous rassurer. Je devine que sa cogite sévèrement dans leurs petites têtes à tous les deux.

- Laissez tomber. Pas un mot de tout ça ne filtrera jusqu'aux autres. On n'est pas dans une république ici, et c'est pas comme si on avait un journal. Il suffit de ne rien leur dire.

Pour les protéger, encore un peu, les protéger d'eux-mêmes. Nous avons peur, peur d'avoir vécu il y a quelque minutes quelque chose qui changera tout ici, balayera ce que nous avons construit. Sans le savoir.




Ils l'ont fait, ils ont gardé le silence, n'ont absolument rien dit, même à ceux qui étaient les plus proches d'eux. Des affiches étaient parfois placardées sur les toits, mais ils les arrachèrent aussitôt et se trouvèrent bientôt à faire le tour des quartiers pour arracher ces petits bout de feuilles plus dangereux que de la mort aux rats.



Ses lèvres cherchèrent l'extrémité de la cigarette avec presque avidité. Comme quoi le trafic était quelque chose de bien en fait. Bruit du métal qui râcle le sol. Ren tira une longue bouffée avant de baisser les yeux sur sa fidèle compagne. Une batte de base ball toute métallique, bordée d'une rangée de pics acérés. Elle était assez lourde, mais il avait les muscles nécessaires à son maniement. Il se demandait distraitement si le sang qui maculait une bonne partie de sa base pouvait la faire rouiller. Ses yeux glissèrent de nouveau sur la petite chose amochée qui avait été, il y a quelques minutes encore, une tête d'être humain. Ça faisait des dégâts ce truc. La main du mort était crispé sur une affiche dont les mots avaient été censurés par décision du Roi de Coeur.
Pauvre type. Ne m'en tiens pas rigueur. Tu n'as rien voulu entendre, je n'allais pas te laisser repartir.
Il pensait de vagues excuses, apaisé par la petite drogue fumante qu'il tenait contre ses lèvres, sa main à la peau rugueuse contre ces mêmes lèvres.
Il n'y aurait plus d'affiches sur les toits, c'était ça de gagné.
Un bruit sourd se fit entendre. Ça se rapprochait. Les yeux noirs de Ren en cherchèrent quelques secondes la provenance avant de comprendre.
Sa main se serra sur le manche de son arme. Sa cigarette encore allumée s'envola entre deux immeubles.

°~

Je jarte ces saletés de cheveux qui se sont encore mis dans mes yeux. A peu près tous les Orphelins de Hearts, et des autres quartiers j'en suis sûr, ont les yeux fixés vers le ciel, comme moi. C'avait été d'abord un bruit, mais maintenant nous pouvons la voir, cette monstruosité de machine, avec son abdomen d'acier et ses hélices. C'est la première fois que je vois un appareil survoler Yokkai. Nous étions les seuls Dieux, les seuls monstres de son ciel.
Et puis soudain je comprend, je comprend trop tard, et il pleut déjà du ciel des petits tracts blancs, sobrement imprimés de noir. Des milliers sur tous les toits, et dans toutes les rues en bas. Ils ont tous tendu la main pour en attraper, pour en lire.
Je ne leur crie même pas de laisser ça. L'hélico s'assure d'avoir bien arrosé tous les toits avant de rebrousser chemin et de s'enterrer quelque part.
Vengeance de femme huuh ? Petite garce.
En ce moment je rêve de broyer entre mes mains un visage de femme.

°~

On se demandait ce qu'il allait faire. Et bien voilà. Une sorte de grand rassemblement en fin d'après-midi. La nouvelle a couru sur tout les toits. Bien sûr on quémande en priorité les personnes plus âgées. Je me sens mal à l'aise.
Il y a énormément de personnes, le toit est saturé. Ils sont tous rassemblés autour de l'abri de béton, Hide y est assis, les jambes croisés, le dos arqué dans une mauvaise courbure, un coude enfoncé près de son genou, les yeux songeurs baissés vers les centaines de visage. Il ne les considère pas vraiment comme des humains, surtout maintenant où leur individualité est annulée par la masse. Il les aime et il les méprise, il pense à eux comme des animaux à l'esprit simple, naïfs. Comme à des enfants. Ren est assis à sa droite, et moi à sa gauche. Je me demande ce qu'on fait là. Comme à chaque fois nous ne sommes là que pour représenter nos quartiers respectifs, mais le seul qui parle ici c'est Hide. Roi de Hearts. On pourrait dire Roi des Orphelins.
Et il parle. Et même je me souviens pourquoi nos trois voix ont fondu en une seule : la sienne. Parce qu'elle est vibrante et magnétique, parce qu'elle attire les autres, parce qu'on l'écoute.
Il parle du projet de Chasseur, de réhabilitation, exacerbe leur fierté d'être différents, d'être où ils sont et qui ils sont ; survivants, libres, supérieurs, n'ayant de compte à rendre à personne.
A la fin un Orphelin prend la parole, un ancien qui a fuit avec nous, au tout début. Il répond à la positive au discours de Hide, et il jure que jamais, jamais il n'irait chasser ses ses amis pour de l'argent. Il crie aux autres, leur demande s'ils ne sont pas d'accord. Et tous jurent de ne jamais devenir des chasseurs d'enfant.
Je me mord le pouce en agitant nerveusement mes jambes dans le vide. Je n'aime pas ça.


Dernière édition par Admin le Sam 6 Nov - 14:03, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: Ancien Testament    Ancien Testament  Icon_minitimeJeu 4 Nov - 23:35

La main de l'adulte effleura les cheveux de l'enfant. Ils étaient doux et d'un noir aux reflets bleu. Le gamin levait vers lui un sourire heureux, brillant de fierté.

- Tu commences à être très bon pour passer les toits.
- Oui ! acquiesça fièrement le gosse, Mais je veux devenir encore meilleur, et quand je serais grand je deviendrais pécheur, comme toi!

Un sourire s'attarda sur les lèvres d'Hatori. Il faisait partie de ceux qu'on appelle pour abréger "les Premiers", et quelques jours en arrière Hide, qu'on surnommait affectueusement le Roi de Coeur lui avait remis entre les main un gosse minuscule et chétif, complètement traumatisé par son récent abandon. Le même qui était tout sourire devant lui. Un sentiment de fierté gonfla sa poitrine. Il se dit qu'il allait l'entraîner pour qu'à son tour il nourrisse les autres.
Les petits yeux noirs avaient déjà papillonné ailleurs.

- Hatori-chan! C'est Kôji là bas.

Hatori se retourna, et effectivement, sur le rebord du toit venait d'arriver Kôji, un ami des premiers temps, accompagné de Saishi.
Le gamin se réfugia dans ses bras, marmonna qu'il ne connaissait pas le deuxième.

- C'est Saishi, un ami à moi et Kôji, mais il habite à Clubs, avec lui.
- Hooo d'accord.

Et l'enfant posa des yeux curieux sur les deux Orphelins qui approchaient. Il ne suivit pas le début de la conversation, ça parlait de chose qu'il ne comprenait pas. De chasseurs. Hé mais il n'y avait pas moyen qu'il y ait des chasseurs sur les toits avec des fusils et ce genre de choses! Sans doute que c'était le genre de trucs qu'il comprendrait plus tard. Hatori-chan semblait contrarié, parce que Kôji lui disait qu'il fallait réfléchir à propos d'une proposition, il ne savait quoi. Il s'ennuyait un peu, ses yeux courraient sur le rebord du toit, revinrent sur Hatori-chan qui s'était subitement plié en deux. Alors il remarqua la lame qui ressortait de l'autre côté de son dos. Le métal se retira, et le grand corps tomba à terre, commençant à répandre une flaque rouge sur le toit.

- Je te rappelle qu'on est sensé les prendre vivants.

Saishi avait l'air un peu contrarié et fronçait les sourcils, alors que Kôji essuyait vaguement sa lame au creux de sa main sans se soucier du gamin.

- Ouais je sais. Mais ça c'était une rancune personnelle.
- Je vois... essaye de pas nous faire perdre trop d'argent.

L'enfant lui, s'était approché de son tuteur mourant, s'efforçant de sangloter sans trop faire de bruit. Il était encore vivant, son visage se tordait dans une grimace et cherchait à lui articuler quelque chose. "Cours". Le petit lança un regard craintif vers les deux autres silhouettes qui parlaient encore, se releva sur ses jambes tremblantes, et couru, criant le même ordre à tout ceux qui croisaient.

- Oooh... il est parti...

Celui qui savait été un Orphelin du nom de Kôji souriait, et son collègue aussi. Ce dernier s'étira.

- Et bien il va falloir y aller.
- Ouais.

Il se retourna, un peu lentement, et courba la lèvre inférieure pour émettre un sifflement. Un peu partout sur les toit alentours, des attaches se défaisaient pour découvrir les armes. Aucune arme à feu ne leur avait été autorisée ; des détonations sur les toits auraient alerté les "autres" en bas. Et les armes blanches après tout n'était pas si vaines. Les laboratoires ne rechignaient pas à acheter la marchandise abîmée, ça leur évitait de le faire eux-même. Ils se déployèrent sans se presser. Hearts était à eux.



Le Poursuivant qui se faisait appeler Crimson Bell grimaça de douleur. L'enfant recula, le visage livide, et il cru un instant qu'il allait s'excuser de lui avoir planté ce bout de verre dans la cuisse. Du sang d'enfant répandu sur les toits. Du sang sur des mains d'enfants. La tristesse le prit à la gorge sans réellement qu'il ne comprenne tout de suite. Il laissa l'enfant s'échapper.
Autour de lui sur les toits, les autres chasseurs serraient leurs proies. Peu d'enfants parvenaient à s'échapper. Un nouveau flash passa devant ses yeux, le souvenir il y a dix ans d'une course désespéré qui les avait menés sur les toits. Les toits n'étaient plus un havre pour les enfants désormais, parce que les toits étaient couverts de sang...
Il se redressa, assez pour voir les petits corps assommés autour de lui, un peu partout sur les toits. Il y eut un sifflement dans l'air, et une autre douleur traça un long trait sur son visage. Il hurla et pressa son poing contre son oeil qu'on venait de rendre aveugle.
Son cri avait attiré l'attention des autres qui s'étaient arrêté pour regarder. Quelques gamins s'enfuirent, mais ce n'était rien à côté du nombre de ceux qui étaient déjà étendus. Ces petits chiards étaient allés chercher le Roi de Coeur. Plusieurs grimacèrent de mépris envers les Orphelins, appréhendant la colère d'une entité qu'ils avaient respecté pendant la moitié de leur vie.
Ce n'était pas son regard noir qu'ils craignaient, plutôt autre chose, quelque chose qui était dans l'air quand il était là, et qui émanait également de sa voix. Voix qu'ils ne tardèrent pas à entendre.

- Alors ici se dressent ceux qui ne vendront jamais leurs frères... Vous l'aviez tous juré... CE SONT BIEN VOS MOTS N'EST CE PAS ?

Ses épaules frémissaient, celles de celui qu'on appelait Hide. Et au bout de ses épaules ses mains, chacune serrées sur le manche d'un fouet. Une seule lanière qui trainait autour de ses pieds et frémissait avec lui tel un serpent cruel. Personne ne répondit. Et puis pour dire quoi ? Personne ne semblait se rendre compte non plus qu'un des chasseurs était maintenant hors de combat, qu'il se contentait de gémir sourdement pour ne pas trancher le silence ambiant. Silence qui tiendrait tant que la présence de Hide suffisait pour tous les tenir en respect. Ce qui ne devait pas durer plus longtemps. Mais il ne s'agissait que de gamins à qui on avait confié des armes, d'anciens Orphelins qui n'avaient pas encore de constitution plus robuste que la moyenne.


L'attaque de Hearts par les tous jeunes chasseurs marqua profondément les mémoire des deux nouveaux camps. Parce que c'était la première attaque, et tout simplement le plus grande, la plus sanglante.


- T'aurais pas du laisser ton quartier sans défense Ren.

L'agacement couvre la douleur qui pointe dans la voix de Hide. Il grimace allègrement, enfoncé de force dans un fauteuil pendant qu'un Orphelin s'occupe de son bras gauche, ouvert d'une éraflure sur toute sa longueur. Ren est derrière lui, et semble trouver quelque détails du mur fascinant. Le mur est contre mon dos, je dois être un peu recroquevillé par terre, mais seulement parce que la position est confortable pour quelqu'un qui ne fait rien.

- Clubs n'avait pas besoin de ma protection.
- Ha ouais? Et pourquoi?

Hide grimace un peu plus sous les gestes maladroits de celui qui essaie de le panser. Je me demande dans combien de secondes il va se faire jarter avec cris et fracas.

- Il n'y a presque plus personne à Clubs.

Un sourire amer passe sur les lèvres du blessé. Je me demande à quoi il peut bien penser. Désillusion? Ce que Ren s'apprête à dire, il répugne à le faire, je le sent.

- Ils se sont presque tous... enrôlé.

Clubs était le quartier où étaient concentrés la plupart des Orphelins plus âgés. C'était ainsi. Les plus jeunes et les plus tranquilles se trouvaient à Hearts, les plus vieux et les plus agités sous l'autorité de Ren, et moi-même je n'étais rejoint que par des aliens, ceux dont l'existence consiste en une mini-aberration. Les trois quarts de Clubs s'étaient vidés pour rejoindre les rangs des chasseurs, et ils ont attaqué Hearts, gigantesque proie naïve dont ils connaissaient parfaitement les rouages. Quelque chose s'était effondré. Notre sécurité, le luxe de rester dans ces abris de ciment en collectivité sédentaire. Je me demande quelle décision ils prendront, je crois que pour une fois je n'aurais rien à leur murmurer.
Hide finit par jeter l'Orphelin qui s'occupe de lui, en lui donnant un coup de son bras blessé. Le gamin part en courant presque pour nous laisser seuls, et le visage blanc du Roi de Coeur se glisse lentement dans ses mains.
La moitié de Hearts y est passé. Et ce n'est pas à cause de ses deux fouets, des Poursuivants qu'il a tué ou neutralisé, ni même à cause de Ren qui est venu l'aider que les chasseurs ont battu en retraite. Non, c'est seulement qu'ils n'auraient pas put transporter plus de corps.
Ils ont frappé sans vraiment de distinction, mais quand on regarde ce qui nous reste, entre les plus vieux qui se sont engagés, ceux d'un âge intermédiaire qui ont tenté de protéger les plus jeunes, on pourrait faire la moyenne d'âge de Hearts -et donc presque de tous les toits- à onze-douze ans. Il ne reste que des gamins sans défense à protéger. C'est à ça qu'il pense, et peut-être qu'il porte aussi le deuil de ces enfants qu'il devait protéger, toutes ces petites soeurs qu'il n'a pas pu sauver. Je me demande si son esprit tiendra le coup.
Ses yeux cerclés de noir émergent d'entre ses mains, et il fixe la porte de notre abri de béton.

- Réunissez tout le monde pour ce soir.

Tout le monde, ça veut dire tous les quartiers. Ce sera plus simple, maintenant qu'ils sont moitié moins nombreux. La cinquantaine de survivants de Hearts, la petite vingtaine de personnes que représentent Diamonds et Clubs désormais. Les Poursuivants étaient une trentaine au début de l'attaque, vingt sont repartis, et pas tous en bon état. On ne sait pas quoi faire des corps qui jonchent les toits, du sang qui s'est répandu, vif et odorant.



Le soir arrive, parce qu'il ne peut en être autrement. Les corps qui se pressent les uns contre les autres sur ce toit sont tremblants, traumatisés pour la plupart. Hide est assis à sa place habituelle, et couve ses enfants d'un doux regard dément. J'appréhende ce qu'il a à dire. Ren semble en avoir aucune idée cette fois, et moi non plus. Alors sa voix s'élève, magnétique et irrésistiblement douce, enveloppe les autres esprits, les subjuguant et les calmant.
Il parle de l'attaque de Hearts et des Orphelins qui se sont retournés contre leurs frères. Les Parias qui sont allés à l'encontre de leur serment. Plusieurs sanglots s'élèvent mais même les plus jeunes essaient de ne pas faire trop de bruit, pour écouter cette voix qui les apaise.

- Nous ne pouvons pas faire confiance à ceux qui ont dépassé l'âge de l'enrôlement. Nous avons essayé et ils sont revenu, tous ceux qui avaient l'âge, presque tous ont profité de notre faiblesse et nous ont enlevé nos amis, nos frères, nos maîtres. Vous savez où ils iront ; dans d'autre pays servir de putes comme nos soeurs, d'animal de compagnie pour riches, enchaînés et drogués, et les autres serviront de cobayes humains pour l'avancée de la science d'en bas. Tout ça pour satisfaire le confort de quelques personnes qui ont jugé que les toits ne leur convenaient pas.

Ils sont tous silencieux, plongés dans son discours, adhérant à ses mots avant même de les comprendre. Moi aussi j'écoute. Je sens la tension monter, je crains ce qu'il va annoncer. Si seulement je pouvait suivre sa logique et savoir, l'arrêter avant.

- Chaque Orphelin risque de devenir un monstre, un chasseur qui nous poursuivra et nous vendra. Avez-vous envie d'en devenir un?

Sa question resta sans réponse, et c'est bien normal en s'adressant à ses enfants au traumatisme encore tout frais. Et là ça me prend comme une claque. C'est un fait exprès. J'entends le léger bruit d'étoffe qu'il fait en se relevant.

- Alors il faudra vous faire à l'idée qu'un Orphelin ne peut vivre que jusqu'à ses vingts ans. Parce qu'après vous deviendrez comme eux. Sauf si vous vous souvenez d'aujourd'hui, si vous vous souvenez de Hearts et de la moitié d'entre nous qui a été emportée. Et si à l'aube de vos vingt-deux ans vous êtes toujours des nôtres, si vous êtes toujours un Orphelin, vous mourrez plutôt que de devenir un monstre, et vous chasserez ceux qui refusent de le faire, préférant mettre en danger leurs semblables.

Seul le silence et des yeux baissés lui répondent, mais ses mots sont comme tracés par une lame dans une chair encore à vif, plus puissants que des années d'endoctrinement. Ces quelques préceptes qu'il vient de nous énoncer deviendront les bases d'une religion où les enfants n'auront pas le droit de grandir. Les toits deviendront un Pays Imaginaire peuplé d'Enfants Perdus qui n'auront de cesse de tuer impitoyablement ceux qui grandissent et risque de devenir des pirates.

- Nous ne pourront plus rester dormir plusieurs nuits de suite dans le même local, comme avant. On aura sans doute quelques jours de répit, le temps que les chasseur profitent de leur première paye, mais ils reviendront et nous chercheront. Ceux de Hearts seront répartis sur deux abris, et pour chaque abri quatre ou six guetteurs se relaieront pour nous prévenir en cas d'attaque. Je conseille à Clubs et même Diamonds d'en faire pareil. Demain nous nous assurerons qu'aucun d'entre nous ne trahisse prochainement nos positions.
- Mais comment ? risque une petite voix.
- En épurant notre clan. C'est vous qui avez souffert, c'est à vous de décider ce que vous ferez à ceux d'entre vous qui sont trop vieux. Si vous souhaitez les tuer ou leur arracher les yeux. Ça ne tient qu'à vous.

Il souriait, et son sourire trouvait un reflet timide sur de plus en plus de bouches. Il offrait à ces enfants une vengeance, la possibilité de faire payer leur sort à quelqu'un tout en se protégeant. Qu'aurait-il pu offrir de mieux?

- Mais, Roi de Coeur, reprit une autre voix, comment savoir si une personne a vingt deux ans ou vingt seulement. Comment savoir si elle ne nous ment pas? Comment les reconnaître?

Les yeux noirs de Hide glissent sur moi un instant et son sourire fou me glace littéralement. Puis il se tourne vers celui qui l'a interrogé et répond doucement, sans se départir du même sourire.

- Vous n'avez qu'à faire ça au jugé.






Un faible gargouillis sort de la gorge de ce qui était il y a à peine quelques minutes, un être vivant. Un de ces chasseurs que nos gamins, dopés aux contes de fées dont ils se souviennent encore, ont surnommé les Poursuivants. Parce qu'il nous poursuivent, haha. C'était logique, si logique dans leurs petites têtes à tous que le nom s'est rapidement étendu à tout Yokkai.
Je rattrape du bout de la langue la cigarette qui allait me tomber des lèvres. En tout cas, il y a une enflure de moins sur les toits. Mon regard se pose sur les gamins qui m'ont accompagnés, à eux trois ils n'ont même pas mon âge. Mais il jubilent et leurs yeux écarquillés dévorent littéralement le sang rouge sortant du corps de l'adulte. Je les repousse un peu histoire qu'ils n'aient pas la bonne idée de jouer avec le cadavre. Les enfants des fois, ça fout les jetons.

- Faudra l'emmener là où vous savez.
- Grogne pas Ren. Mais ce ne serait pas mieux de récupérer ce qu'il a sur le dos?
- Tch! Des affaires sales achetée avec de l'argent fait sur notre dos.
- Ouais mais... ça peut servir.

Il me contourne sans me voir, littéralement subjugué par les armes qui ornent la ceinture du mort. C'est vrai. Il a raison. Ça au moins ça nous servira. Les enfants apprendront à se défendre, puisque c'est comme ça que nous devons faire pour continuer à vivre désormais. J'aurais pu mourir de la honte que j'avais éprouvé en annonçant à Hide que tous ces traîtres, c'était Clubs qui les avait fourni. Mon quartier, les gamins qui étaient sous ma protection. Shin m'a répété que ce n'était pas ma faute. C'est peut-être vrai. Mais durant l'année qui s'est écoulé depuis la grande attaque de Hearts, je me suis employé à prendre particulièrement soin des jeunes qui me restaient. Afin que ceux de Clubs deviennent un jour les gardiens des autres quartiers, ceux qui repousseraient les attaques des chasseurs.
Ouais.
Je tend ma batte à un gamin pour charger le mort sur mes épaules. Ils ne pourraient pas sauter en supportant son poids. Il va pourrir avec ses ex-collègues, dans notre fosse commune à nous, les enfants du ciel. Mais je n'ai pas le temps de sauter, sur l'autre toit une silhouette trop haute pour appartenir à un enfant me cache le soleil. Le cadavre retombe immédiatement à terre, de toute façon il ne peut pas avoir mal. Le manche métallique de ma batte est encore chaud sous mes doigts, et les pointes sont rouges d'un sang encore vif et liquide. Je dis aux gamins de rester en retrait.
Ils ne bougent pas. Pas de réponse. Ce n'est pas le moment d'être paralysés par la peur. Je me retourne vivement et quelque chose se noue dans mes tripes. Trois autres Poursuivants sont sur le toit. Ils sourient en regardant le cadavre à terre. Leurs armes sont déjà sorties, pas la peine de cogiter sur la suite.


Mon bras dégouline de sang. Je force pourtant, force ces membres qui sont encore les miens à se crisper sur mon arme. J'ai l'impression qu'elle saigne elle aussi. Et j'ai mal, accessoirement. Mais l'important c'est que les gamins se soient enfuis. Tous sauf celui immobile à terre, les mains crispées sur son ventre perforé qui attend de mourir. Un autre cadavre d'adulte encombre le toit, et il y en a un qui ne bouge plus trop, en retrait derrière les autres, et qui a quelques côtes foutues en l'air. Mais les deux autres sont hargneux. Merde. Ça me fait chier.
L'un des deux en face et particulièrement stressé. Depuis dix minutes j'entends ses beuglements en boucle. De la haute poésie dans la veine "espèce de connard tu vas arrêter de bouger oui?". Mais bien sûr. Mes jambes sont encore fortes, et je me recule encore pour me protéger de leurs coups, dans mes mains la masse lourde entame un mouvement de balancier inexorable. Je le loupe, et c'est son ami qui se prend tout dans la face. Au moins il sera court-circuit pendant un moment.
Un bruit. Je regard sans vraiment y croire le manche de sa machette perpendiculaire à mon flanc, toute sa lame enfoncée dans ma chair. Quelques fractions de secondes pour anticiper la douleur avant de la sentir venir.
Et je fini par m'arrêter, comme il le dit.

Ren, Roi de Clubs, tué un 23 mai par le Poursuivant Red Fang.





Le gamin chétif se pince les lèvres et s'avance à petits pas, à contre-coeur. Pitié qu'il vienne plus vite. Tout le sang s'est retiré de mon visage quand je l'ai vu arriver sur le toit, portant avec peine la grande masse de Ren. Il est enfin devant moi, il me la tend, et contre toute attente, je ne la prend pas. Mon corps ne veut pas bouger. Je continue à regarder sans y croire l'arme encore maculée de sang, de tâches laides et cramoisies. Et en dehors du fait en lui-même, mon esprit s'agite sur les problèmes que causent la mort de Ren. Clubs est orphelin, les gamins là-bas y sont sans défense.
Pauvre con, tu vois pas que ta mort me cause que des emmerdes?

- Tu étais avec lui ?

Le gamin sursaute. Ça le traumatise à ce point de m'entendre parler? Il a l'air complètement choqué. Malgré le temps que Ren leur a consacré, ses protégés sont toujours des chiffes molles.

- O-oui.
- Tu as vu qui l'a tué?
- Un Poursuivant très maigre, avec des cheveux longs et noirs. Il se bat avec une petite hache.

La présence discrète de Shin se rapproche. C'est incroyable la vitesse à laquelle il rapplique quand il se passe quelque chose. Mais sans doute qu'il était au courant avant moi, et comme toujours il vient voir si je ne perd pas un peu plus les pédales que d'habitude. C'est vrai qu'il n'y a pas de quoi s'énerver. Ren est juste mort. Il n'y a vraiment pas de quoi s'énerver.
Je le regarde à peine soulager le gamin de son fardeau, ses mains se resserrent sur le manche recouvert de métal, et j'ai clairement envie de le frapper quand il pose ses yeux sur moi.

- Tu sais, Ren préfèrerait que tu t'occupes des toits et que tu protège tout le monde. Ne fais rien de stupide.
- Tu va me dire que l'esprit de Ren t'habite maintenant?

Il se mord les lèvres. Je vois dans ses grands yeux bleu ce à quoi il pense, ce qu'il aimerait me dire, ce qu'il aimerait que je comprenne, c'est aussi clair qu'un miroir dans ses grands yeux. Il a peur, une angoisse qu'il se traîne depuis longtemps comme une maladie commence à atteindre des sommets. Je revois la mort de ma soeur dans ses yeux, et ses pensées sont si claires. "Ren l'a empêché de faire une connerie ce jour là, Ren était toujours là pour t'en foutre une quand tu commençais à déconner. Mais maintenant il n'est plus là, et je ne veux pas que tu me laisses tout seul".

- Que c'est touchant.

Il a un mouvement de recul, et tout s'arrête. Le blesser alors qu'il est ouvert et faible, c'est le seul moyen de ne pas le laisser prendre le dessus. Je me retourne, mes mains descendent sur mes hanches effleurer mes fouets qui ne me quittent plus depuis un an. Il me rattrape avant que je ne change d'immeuble.

- Hide! Si tu meurs, Hearts n'aura plus de roi.

C'est qu'il persiste en plus. Mais je n'ai pas trop de temps à perdre avec lui. Je me retourne, je n'ai pas envie de sourire.

- Si je meurs tu devra gérer tous les quartiers, Roi de Diamonds.

Et j'appuie sur ces derniers mots pour qu'il arrête de me faire le numéro du gamin abandonné. C'est vrai qu'on ressemble à des jeunes adultes, mais tous les deux on a la trentaine.

- Mais Hide qui va protéger tout le monde si toi aussi tu..
- PROTÉGER QUI, BORDEL ?

Il sursaute et fait un pas en arrière. J'ai renoncé à le laisser pour rejoindre l'autre immeuble. Finalement je vais passer mes nerfs dessus. Dire que je voulais éviter ça, mais puisqu'il a voulu m'entendre, que sa volonté soit faite. Il semble se reprendre, des mains froides se glissent dans mon cou alors qu'il se loge contre mon corps. Je hais positivement quand il adopte ce genre d'attitude faible. Il a mal, autant que moi, peut-être même plus, mais je ne lèche pas les blessures des autres. Je pose mes lèvres contre les siennes, un peu trop brusquement, ça ressemble à un coup, et je le repousse. Et il se laisse faire.
En sautant de toit en toit, au milieu de toute ce qui gronde dans ma tête, une petite pensée hésitante me dit qu'il faudrait peut-être que je pense à rentrer en vie, pour protéger encore un peu la dernière personne qu'il me reste.


J'ai retrouvé ce Poursuivant, celui qui se faisait appeler Red Fang. Je trouve ça ridicule. Le mot "Poursuivant" m'énerve au plus haut point, sorti de l'imagination des enfants pour en faire des monstres de conte. Et maintenant ils se donnent des petits surnoms. Dire que tout le monde pense que je suis taré...
Enfin l'important c'est que je l'ai retrouvé et que j'ai mis une dizaine de jours à en finir avec lui. Et tous ces chasseurs qui pensent que le Roi de Hearts est bien inoffensif, avec ses pauvres armes qui ne peuvent tuer. Ha mais je dois leur concéder que Red Fang n'est pas mort sous les coups de fouets, même s'il y a gouté de façon plus que certaine. La capture ne l'a pas tué non plus, pas plus que la séquestration. Je lui donnais à manger en plus, à boire même. Une fois tous les trois jours, oui, mais je n'allais pas ruiner mon quartier pour un type qui allait crever de toute façon. Ce que je lui ai fait les trois premiers jours, je n'en ai parlé qu'à demi-mot, même à Shin, et il a préféré baisser les yeux plutôt que deviner. C'est fou ce qu'on peut faire avec un corps humain. Là où j'ai sérieusement du lui foutre un bout de tissu dans la bouche, c'est quand je me suis lassé et que je suis revenu dans le petit abri qui nous donnait un peu de vie privée avec la batte de Ren. Je l'ai un peu agité sous son nez pour qu'il commence à baliser, puis je m'en suis... servi, c'était le but. Je lui ai mis un bandeau sur les yeux avant de lui fracasser ses articulations une à une. C'était drôle ça avait l'air de le rendre complètement fou. Suite à ça je n'ai plus eu besoin de corde. Je laissais même la porte de l'abri ouverte, il ne pouvait même pas ramper. Il faisait fort bien la larve domestique.
Je ne savais pas comment le tuer une fois pour toute. Il est plus exact de dire que j'ai longtemps hésité entre plusieurs manières qui me semblaient toutes aussi satisfaisantes. Je lui soumettais mes idées à voix haute, pendant que je m'occupais en gravant un joli coeur sur son torse, à la pointe d'un couteau. Mais un joli coeur, avec beaucoup de petites fioritures. J'ai décidé de lui découper les joues avant de plonger un couteau dans ses orbites évidées, et l'y retourner jusqu'à ce que les soubresauts de son corps cessent. Mon plus beau cadeau fut déposé par mes soins devant Ace, endroit minable nommé par les raclures qui le fréquentaient.
Après ces dix jours, je me suis calmé. Quand la mort de Ren me revient en tête je pense à ce que son assassin a du subir avant de trouver la paix. J'essuie mes mains sur mon pantalon. Je sens encore l'os de l'arcade sourcilière racler contre ma lame, les soubresauts du corps qui achevait de mourir. Depuis je dors avec Shin. Savoir qu'il est vivant m'empêche de devenir dingue.

Suite à mon présent, il s'avère que les Poursuivants sont particulièrement acharnés à me courser. J'en tue encore deux avant qu'ils ne commencent à penser que ce serait peut-être mieux de s'y mettre à plusieurs pour tenter d'attraper le Roi de Hearts. Dans ce cas là je m'enfuis. Je ne fais rien de con comme dirait Shin, seulement quand ils viennent seuls, je reste.
Comme celui là qui doit avoir un peu trop de vent dans la tête, et qui est venu me provoquer seul. Mais au bout de quelques instants je me rend compte que lui mérite ses lettres de chasseur.

Mes bras sont douloureux et mon souffle court. J'arrive encore à le maintenir à distance, un claquement le dissuade dès qu'il tente un geste. Je n'ai jamais compris la frénésie avec laquelle ces crétins de parias se sont jetés sur les lames telles que les épées occidentales ou orientale, les dagues et poignards. Lui non plus apparemment. Ses avant-bras sont cintrés d'une épaisse couche de cuir, et si je ne fais pas gaffe il peut aisément bloquer mes coups et me retirer mes armes. Seulement il ne peut pas s'approcher. Et s'il compte attendre que je sois crevé avant de me cueillir, il peut baiser son père. Je m'enfuirais toujours avant.

Je regarde le vide en récupérant mon souffle. Finalement, finalement c'est lui qui a morflé. Seulement j'ai failli y passer à mon tour. A chaque fois je me demande ce que ça leur fait en bas, de ramasser nos cadavres disloqués. Ça ne doit pas les perturber plus que ça puisqu'ils nous laissent nous entre-tuer entre Orphelins et Poursuivants. Je suis si fatigué... Shin aura intérêt à être aux petits soins pour moi quand je reviendrais. Quand je reviendrais...
Mon coeur s'affole en captant l'autre silhouette massée sur le toit, en face, loin. Très loin. Je comprend trop tard pourquoi il ne bouge pas. C'est impossible, personne ne m'a jamais pris en traître jusqu'ici. Personne ne m'a jamais tué jusqu'à aujourd'hui. La flèche me traverse le torse et ressort à moitié de l'autre côté. Elle a évité le coeur mais ce n'est pas pour autant que je la sens pas. Je lève les yeux vers le lanceur. Je suis mort. Je suis mort il y a quelques secondes. Il y a une minute.
Je sens mes jambes faiblir mais je me force à rester debout, à l'attendre, l'autre qui ne se presse pas. Oh mais je lui évite les injures. Il a réussi à m'avoir après tout. Et je l'attend aussi droit que je peu, en le regardant dans les yeux, parce que je suis Hide, Roi de Hearts, Roi de tous les Orphelins de Yokkai. Et je le resterais même après ma mort.
Il passe devant moi sans trop me regarder, m'effleure la joue, se glisse dans mon dos. Une lame froide passe doucement sur ma gorge, comme une répétition du coup qui va m'achever. Je pense à Shin, je n'espère rien pour lui, je vois juste ce que ma mort fera de lui. Un enfant complètement seul. Puis la vision passe, rapidement, et je pense à Ren, parce que je suis bien plus proche de lui en cet instant.
Je suis mort. Je ne suis plus rien.

Hide, Roi de Hearts, tué un 26 juin par le Poursuivant Lorelance.





Des cris d'enfants et des geignements dans le noir. Des corps qui se heurtent, pressées, affolés. Cela fait plusieurs heures que nous sommes dans le refuge de Diamonds; les Méandres, sorte de jumeau du Dédale de Clubs. Les refuges ont fleuri dans chaque quartier suite à la grande attaque de Hearts. Seul celui des rêveurs de Diamonds était équipé d'une sortie de secours, peut-être parce que nous n'étions pas capable de nous défendre pour les autres, certainement parce que cette idée reçue était correcte.
Au-dessus de nous ; des bruits de pas.
Ils sont nombreux, malgré tous ceux qui ont été tué depuis l'attaque du grand quartier. Et ils nous cherchent. Je suis ici, avec ceux de mon quartier et quelques autres Orphelins qui se sont retrouvés là par hasard, je leur ordonne discrètement de ne pas faire de bruit. Je me sens vide. J'ai proposé de fermer la marche, pour m'assurer de leur sécurité, c'est vrai, mais aussi parce que je suis celui à qui vivre importe le moins.
Je revois Hide et son maquillage noir descendant sur sa joue. Si je meurs tu seras le Roi de tous les Orphelins. Si je meurs tu devras tous les protéger. Connard. Je te déteste. Même si j'ai rêvé de ta mort comme si j'y avait pris ta place, même si j'ai senti tes pensées se diriger vers moi un peu avant de mourir, même si tu ne l'avais pas voulu... Tu m'as quand même laissé derrière.
Je frissonne. Je me rend compte alors que la petite dizaine d'enfants a les yeux braqués sur moi. C'est vrai je n'ai pas le droit d'avoir l'air faible. Je hais ça.

Un énorme bruit sourd nous fait tous sursauter. Je me rend compte avec une incrédulité distante que les Poursuivant ont pénétré dans l'abri, qu'ils seront bientôt là, que nous sommes tous bloqués. Pas si on s'enfuit. Mais il est déjà trop tard pour ça. Je me retourne vers eux. L'étroitesse de l'endroit ne nous permet que de marcher à quatre pattes.

- Partez. Je les retiens. Fermez bien la porte derrière vous qu'ils ne la trouvent pas.

Parce que moi je serais mort ou presque quand vous aurez fini de vous enfuir, dans quelques minutes. Ils me regardent et acquiescent en silence. C'est ce que j'aime avec les enfants de Diamonds. Ils savent et ne compliquent pas les choses. Je me retourne face au bruit qui se rapproche tandis qu'eux évoluent aussi rapidement qu'ils en ont la possibilité vers la sortie, au détour du boyau.
Laissé en arrière, pour protéger des centaines d'enfants. Tu as cru que je tiendrais longtemps ? Que peut faire un Roi sans armes ? L'équilibre entre nous était parfait, avant. Mais vous êtes morts, et moi aussi je vais mourir, en remplissant mon rôle.
Mes yeux se lèvent pour chercher le ciel, mais ne rencontrent naturellement que le noir. On va me tuer dans un endroit si glauque, je ne pourrais même pas entendre le vent autour de moi m'accompagner. Pourquoi je suis là? Pourquoi je suis seul? Mes yeux discernent une ombre mouvante. Je ne bouge pas et pourtant je le fais sursauter. Une lame courte s'enfonce au dessus de ma clavicule. Ça fait mal, mais je me rend compte que je pleure depuis déjà longtemps. En silence. Un gémissement douloureux me passe les lèvres, je ne me débat même pas. Une petite lumière vive sortie d'une lampe torche d'une taille ridicule me vrille les yeux. Il commence à comprendre à qui il a affaire. Il crie quelque chose aux autres qui sont derrière lui. Je n'écoute pas, je préfère penser aux autres, ceux qui sont morts, ceux qui m'attendent. Ça rend la situation un peu plus supportable, même si mon coeur continue à s'affoler vainement dans ma poitrine, me criant qu'il ne veut pas mourir.

Une grande main m'attrape par les cheveux et me tire. Le chemin jusqu'à la sortie est long, parce qu'il avance lentement, et que quitte à être traîné par les cheveux je joue les poids morts. Ça l'agace encore un peu plus. Puis une lumière aveuglante m'éblouit. Blanc pendant quelques secondes. Je suis allongé sur le sol d'un immeuble, à moitié sorti de l'abri de Diamonds. Sur mon visage la poussière et la crasse se sont accrochées au sillon de mes larmes. Je souris un peu. Dieu que je suis sale pour un Roi. Je lève les yeux. Au dessus de moi il y a une lame prête à s'abattre, brillante, et pourtant mes yeux glissent dessus sans la voir. Au dessus encore il y a le ciel, bleu, paisible, éternel. C'est là que je vais, avec Hide et Ren, et tous les autres enfants du ciel qui sont morts avant nous.

La lame s'abat, tranche la chair tendre et se heurte à un os, ressort du corps en laissant le sang remonter à l'air libre. Il n'y eut pas un sursaut, pas une protestation, comme si l'enfant était déjà mort avant même qu'on ne le tire de son refuge. Ses yeux reflètent la couleur du ciel, à jamais. Les larmes et saleté se livre un duel sur son visage, et pourtant ses lèvres sourient, comme si on venait de lui faire le plus beau des cadeaux.

Je suis mort. Plus personne ne sait rien.


Shin, Roi de Diamonds, mort lors de l'attaque massive sur les Méandres le 9 août, tué par le Poursuivant Sabbath.
















«Il marque une pause. J'ai l'impression que ce n'est pas uniquement théâtral, mais qu'il attende la suite de sa phrase sur d'autres lèvres que les siennes. Il était déjà trop maigre pour sa taille avant de monter sur les toits, un jeune vieillit trop vite qui ne tient que par ses nerfs, et par le petit corps dans son ombre protéger. Je devine que l'une des solution est simplement d'avoir un chef, je ne le dirais pas, je sais qu'il n'a pas envie d'être celui là, mais il se trouve que moi non plus.
Ren finit par proposer une réponse. Jusqu'ici c'est lui qui a donné les principaux ordres avec Hide. "Grimpez!" par exemple.

- Pas de système... chacun pour sa gueule.

Les yeux noirs de Hide tombent dans ceux de Ren comme s'ils venaient de trouver une épaule sur laquelle se reposer. Il acquiesce lentement.

- Ou alors une seule autorité, à la voix incontestable. Le plus prompt à avoir la meilleure décision.
»


Il n'y eut pas de successeur aux Rois morts. Parce que leur existence appartenait à une ère révolue. Celle où les Orphelins étaient les dieux du ciel, éternellement jeunes et insouciants. Face à une poignée d'adultes qui ne vivaient qu'en les revendant, ils étaient contraints d'abandonner leur système laborieusement mis en place, les équipes de pécheurs, les abris de bétons où ils s'entassaient, au chaud les un contre les autres. Les Orphelins vont seuls ou en bande d'individus très fermés, changeant de tanière de façon régulière. Appartenir à un territoire ne signifie plus qu'avoir une plus ou moins grande portion de la ville à leur disposition, et à aucun moment un désir de collectivité ne les effleure.
Les Rois et les premiers Orphelins sont morts, ou bien, devenus Poursuivants, ont quitté les toits et se sont réintégrés à la ville "d'en bas". Et les autres ? Au fil des années, ils se sont fait attraper. Le sang des Orphelin est constamment rafraichi de nouveaux enfants perdus se retrouvant sur les toits. Si bien que cinq années après leur mort, ceux qui se souviennent de la voix vibrante de Hide ou de l'odeur des cigarettes du Roi de Clubs se comptent sur les doigts d'une main.

Seul un chant, une comptine née à Spades et très populaire dans le milieu Orphelin témoigne de ce temps oublié.
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